Homélie donnée par l'abbé Pierre Guéroult pour le 25ème dimanche ordinaire C, le samedi 18 septembre 2010 à 18h30 à Beuzeville la Grenier et le dimanche 19 septembre à 10h30 à Bolbec.

Le travail du prédicateur aujourd'hui est difficile, c'est à n'y rien comprendre, Jésus semble se faire le défenseur d'une espèce de combinard. En effet, ce mauvais gérant, avec habileté, trouve une astuce pour se faire bien voir des créanciers de son patron. Il a trafiqué les factures et embrouillé les comptes.J'ai pensé qu'on pouvait expliquer cet évangile par l'idée de "caricature".Un dessin caricatural, dans un journal, cela consiste à forcer le trait afin de mieux faire comprendre une chose cachée et, quelque peu, secrète. Il me semble qu'aujourd'hui Jésus se livre à cette activité, avec un certain toupet, sans oublier une bonne dose d'humour. Oui Jésus joue la provocation afin de nous faire réfléchir. Il sait que notre rapport à l'argent est compliqué, souvent ambigu. Certes nous cherchons, et c'est bien normal, à gagner notre vie, mais nous demandons souvent à l'argent autre chose : une forme de reconnaissance, une manière de nous rassurer sur ce que nous valons, sur ce que nous "pesons" face aux autres... Nous rêvons de gagner plus, pas uniquement en fonction de nos besoins réels, mais avec l'illusion que plus notre compte en banque augmentera, plus nous aurons le sentiment d'exister voire, comble de la méprise, d'être heureux.En fait, réalité difficile à accepter, c'est l'argent que nous possédons qui nous possède. Notre obscur besoin du "toujours plus" fait parfois de nous des "possédés".Jésus n'est pas naïf, il sait que les hommes ont besoin de revenus pour vivre et aujourd'hui encore, la doctrine sociale de l'Eglise ne condamne pas l'argent. A condition que nous respections le proverbe : "l'argent est un bon serviteur mais un mauvais maître".Certes l'intendant, dont par l'évangile,  est un filou, mais, nous, en se faisant des amis avec l'argent trompeur, disons carrément la monnaie de singe, on fait passer les espèces, du rang de "but" à celui de "moyen".Chers amis, second point de notre réflexion, je voudrais insister avec vous sur la conclusion que Jésus a donnée à l'épisode : "les fils de lumière sont moins dégourdis pour le bien que les fils des ténèbres quand il s'agit de leurs affaires".Je m'excuse de citer un exemple personnel, cette phrase m'a souvent guidée dans certaines orientations de mon ministère sacerdotal, l'importance que j'ai voulu donner aux moyens modernes, comme la photographie, les magnétophones, et depuis 1980,  l'informatique et maintenant l'internet.Mais la parole de Jésus, le reproche qu'il fait aux fils de lumière de manquer d'imagination ne se borne pas à cette application. On pourrait partir de quelques exemples pris dans la vie ordinaire, des gens qui font preuve d'une certaine habileté. Habiles, nous savons l'être pour négocier une augmentation de salaire, inscrire notre enfant dans un établissement réputé, dénicher un vêtement de marque à prix réduit, voire même réduire nos impôts par une astuce... légale ! La question de Jésus est nette : saurons-nous agir avec la même habileté pour faire connaître l'Evangile, renouveler le langage de la foi, rejoindre les petits et les exclus, promouvoir la justice, répandre la paix ?Je termine en précisant que, sans doute, les qualificatifs de "fils de lumière" et "fils des ténèbres" viennent du monastère des moines esséniens, près de la Mer Morte dont on a retrouvé la bibliothèque sur des rouleaux de papyrus et parchemin en 1947.Il est donc à penser que ce groupe de croyants, qui avait pris le maquis devant la corruption des prêtres du temple de Jérusalem, pour s'installer dans le désert, leur philosophie avait quand même, un peu, influencé Jésus puisqu'il leur emprunte certains mots.Résumons en conclusion : 1°) 2000 ans avant Karl Marx, Jésus a dénoncé le pouvoir aliénant de l'argent. 2°) il souhaite vivement que nous soyons des croyants davantage inventifs et imaginatifs.

Amen.

 

Complément : l'Evangile de ce dimanche : 

Il disait encore à ses disciples: "Il était un homme riche qui avait un intendant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le fit appeler et lui dit: Qu'est-ce que j'entends dire de toi? Rends compte de ta gestion, car tu ne peux plus gérer mes biens désormais. L'intendant se dit en lui-même: Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance? Piocher? Je n'en ai pas la force; mendier? J'aurai honte... Ah! je sais ce que je vais faire, pour qu'une fois relevé de ma gérance, il y en ait qui m'accueillent chez eux.  "Et, faisant venir un à un les débiteurs de son maître, il dit au premier: Combien dois-tu à mon maître? -- Cent barils d'huile, lui dit-il. Il lui dit: Prends ton billet, assieds-toi et écris vite 50. Puis il dit à un autre: Et toi, combien dois-tu? --  Cent mesures de blé, dit-il. Il lui dit: Prends ton billet, et écris 80.  "Et le maître loua cet intendant malhonnête d'avoir agi de façon avisée. Car les fils de ce monde-ci sontplus avisés envers leurs propres congénères que les fils de la lumière. "Eh bien! moi je vous dis: faites-vous des amis avec le malhonnête Argent, afin qu'au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous accueillent dans les tentes éternelles. Qui est fidèle en très peu de chose est fidèle aussi en beaucoup, et qui est malhonnête en très peu est malhonnête aussi en beaucoup. Si donc vous ne vous êtes pas montrés fidèles pour le malhonnête Argent, qui vous confiera le vrai bien? Et si vous ne vous êtes pas montrés fidèles pour le bien étranger, qui vous donnera le vôtre?  "Nul serviteur ne peut servir deux maîtres: ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent."

(Luc 16, 1-13)